21 mai 2024

je cours, je rate mon train, je m’assois en terrasse, je ne rate pas la lumière méduse de mon verre 
ma voisine vient ici tous les jours, elle habite au dessus du bar, elle est née à Taiwan, elle n’a plus ni père ni mère
elle fume, elle rit, elle m’offre un café et dit à la serveuse "j’ai trouvé une amie"
je pourrais dire moi aussi, mais je ne sais pas encore qu’on peut devenir amies le temps d’un café 
 
à la place de dire, je ris avec elle et nos rires se parlent 
 
on parle de nos traces dans le passé et de comment nos traces se croisent avant de se séparer, aujourd’hui, sur ce boulevard
elle me dit "je sais que vous êtes courageuse",
peut-être qu’elle a vu mes traces
 
 

 

1 mai 2023

Pour 
la sauvagerie
le désordre
le feu
la joie
rien n'est plus grave
qu'un pays qui se tient sage
 
 

 

2 février 2023

 
c’est l’hiver
ou la forêt
enfin lire la forêt
les baies
choisir la bonne
alors que je ne connais rien
à la survie des loups
de mon imagination
sur les bandes plus claires
une boule sombre
suspendue à un buisson 
une idée de mordre
qui colore ma langue

25 janvier 2023

 



la fumée imprègne l’air du matin, j’ai ma première empreinte 
indignée 
l’inventaire en morceaux des briques éclatées 
déchaîner le rond rouge 
la bouche ensanglantée 
ce rugueux de la peau écorchée
de l’ordre des choses 
tout contre 
nos petits déplacements
 
marcher autour du géant sans avoir l’intention de le froisser
manger la tête des fleurs en sucre 
les plis anciens des violettes
souffler sur un pissenlit sans lui trancher le cou
les fleurs de camélias n’ont pas attendu l’orage
pour se détacher

les longues et sonores transhumances balaient
l’or balayé des draps brodés
au crin d’oiseaux et leurs nids enarbrés
les nuits dépliées servent à déplier

j’ai faim depuis que je suis née

un ange pour chaque falaise
chaque rugissant
animal languissant
même avec des chaussures lourdes
pied sur la digue plutôt que sur le vide 
j’apprends à nager

à suivre la flèche pour une eau plus calme
là où le héron et son immobilité végétale
là où les esprits qui ont tout vu 
m’évitent d’avoir à le faire

je vais attendre que l’air soulève mon foulard

me lever
porter ma voix
geste de sauvegarde
de ma température corporelle 
là, dans la main, une graine rouge de coton mouillé
et vous,
pas besoin de vous voir pour savoir la rencontre 
en fait, cette cabane abrite nos ricochets 
un rond dans un rond plus large 
un choeur battant
qui trouve dans la lumière des branches
matière à aiguiser son chant 

dans le silence et ses aspérités
jusqu’à la frontière que la transhumance balaie
le bruit de la pluie est celui du poêle 
demain j’irai voir la griffure de l’arbre



30 octobre 2022

le soir souvent, je laisse son parfum grandir entre nous, toute la fumée, la résine de benjouin dans la cage thoracique depuis 1885, un poison fleuri, mais pas seulement, un pays d'Arménie contenu dans un petit papier brun, des vertus "réunissantes", le soir souvent, son parfum autour de nous, huit pages de lamelles pliées en accordéon qui se consument doucement, dégagent du lointain, mais pas seulement

4 août 2022

popote : 
 
ce matin le ciel est le même pourtant des centaines d’étoiles l’ont traversé
ce qui ne fait pas de bruit peut nous échapper
 
la popote du matin consiste à allumer le réchaud sur un terrain en pente, pfffff j’arrive au bout de la bouteille de gaz mais l’eau est suffisamment chaude pour le thé et là, j’ai toute la vie devant moi pour voir l’eau devenir verte, transparente, quelques fourmis autour du pot de confiture, mais pas dedans, en bas le boulanger a sorti sa table pliante, j’entends d’ici craquer les sachets de croissants, il ne fait pas encore trop chaud, l’été se fatigue et finira par desserrer son étreinte, de toute façon le congélateur du camping est rempli d’une glace bleue comme au Groenland

22 juillet 2022

13 mai 2022

c’est eux, les indiens
avec leur territoire
leur source
leur tipi
pas tout à fait droit
sur la placette
ils sont ma rue
où on sort avec un petit arrosoir
pour arroser les fleurs
où on chasse torse nu
les brigands du ciel
je leur demande si je peux photographier leur tipi
le garçon me répond : non
je lui réponds : oui
après tout moi aussi
j’ai du sang indien
pour chasser les brigands du ciel
 

 

3 avril 2022


l’ancien monde, le vent du nord, le bruit des roulettes sur les creux et les bosses je pars, 
 
mon visage et mes mains dans le reflet de la vitre, cette amie m’a affirmé qu’elle ne lit jamais dans le train, elle regarde à la fenêtre, le cheval blanc une apparition, la mer qui n’en est pas une puisque le train roule dessus, je me désemplis des maisons collées entre elles et contre la voie à Narbonne, le train pour Bordeaux est annoncé avec un retard de cinq minutes
 
je bois un café allongé "mais avec un peu plus de café que dans un café allongé", me dit la serveuse, je lui réponds: ça tombe bien, j’ai cinq minutes de plus pour écrire ce dialogue
 
dans le bar de la gare un homme au bonnet enfoncé,la bague et le porte feuille dans la poche intérieure de son blouson comme s’il allait sortir une arme, sa voix de caverne tellement que j’ai du mal à saisir ses mots, son visage ne s’éclaire pas partout quand il sourit, quelque chose de hargne qui vient télescoper
 
il parle et ses phrases refusent toute contradiction à la femme, sa mère ? assise en face de lui, est allée chercher des bouteilles d’eau et des madeleines dans un paquet qu’il lui arrache 
 
un sourire
 
je suis assise en face de l’hôtel d’Alsace en plein centre de cette ville du sud, je pense à l’exil, le fil qui se distend, je pense à l’énergie du pas de côté, au mal de dos, à la danse enfermée dans mon corps qui est resté des heures immobiles, le paysage file tout seul jusqu’au prochain arrêt
 
un jeune homme sur le quai garde les yeux fermés

19 novembre 2021


j’aimerais être comme toi
bleu comme toi
comme tu te moques du monde comme il se moque de toi
ce que j’apprends quand je te croise
c’est que ma vie n’a jamais été aussi large
et que tu es dedans
le reste, ce sont des projections, des malentendus, des peurs 
je t’aime, c’est tout ce que j’ai à dire
cet amour m’apprend que l’amour m’apprend qu’on se déleste

tu te déplaces avec tes ami(e)s en occupant toute la rue 
tu survis dans la meute, tu aimes en un coup d’oeil
tu creuses des trous autour de ta personne
et tu dis
                        
la mort est une vue de l’esprit

tu prends le bus à l’heure où d’autres partent travailler 
tu prends les mêmes couloirs
tu apprends à lever la main avant de prendre la parole 
ce geste assimilé par toi à une soumission, un renoncement
tu penses aux filles qui travaillent dans la musique infernale 
du magasin de vêtements

tu racontes, mais une voix plus forte écrase ton exploit 
écrase qui tu es
ce n’est pas l’avenir qui t’effraie 
mais l’absence de choix

à mes yeux
ton sang est bleu
ton isolement, ta fatigue, coulent dans tes veines
ou bien n’est-ce qu’une parade, cet air de ne pas être là 

tu as faim de sommeil
tu ne dormiras jamais assez
tu attends que la porte s’ouvre pour réchauffer ton corps
tu te heurtes à l’avidité
aux coriaces
tu peines à inventer les formes de ton courage 
ta tête ballote dans les transports de ton âge

                            ta tête ballote comme si tu disais oui 
                            tu te reconnais dans les plis

la fumée sort de ta bouche
ta bouche absorbe le vif
qui réveille
un coup de pied dans les désastres
tu brûles tes ailes
                                
l'ambition de voler est du temps perdu

tu te disgrâces en beauté
avec un échantillon de parfum dans le cou 
des docs pas lacées
les ongles maquillés
de reine à moitié roi

à mes yeux
ton sang est bleu 
bleu désir
bleu colère
bleu comme toi

ne rien faire, ne rien dire
pourrait remplir ce jour
du début à la fin
mais ton histoire n’a rien de linéaire
ton histoire procède par éclatement souterrain 
les profondeurs de ta vie,
tu les partages avec une couleur que je suis seule à voir



8 novembre 2021


 

quitter Paris
je regarde mes pieds la pluie
avant de descendre les marches
les sirènes d’ambulance quadrillent le peu d’air
il manque un chant pour la ville
un voyageur fait un malaise à Saint Marcel
depuis
on attend
retiens mon souffle
rassemble
ce qui m’accorde à la vie dehors
après
plus loin 

(poésie express)



11 août 2021

et brusquement repart, le quai pour moi seule, 
je veux garder quelque chose de vos visages 
ce n’est peut être pas un hasard si on se croise
j’aimerais vous demander : avez-vous vu ces gens qui dorment à même le sol ? 
est-ce qu’ils entendent les battements de nos pas, le roulement du métro lorsqu’il passe au dessus de nos têtes, prenant la place du ciel ? 
(poésie express)





poésie express des boulevards d’août désertés 
cet homme avec sa guitare cantare soy un italiano 
la voix plus rauque quand il dit «ma langue maternelle » 
les voyageurs du métro portent un sweat-shirt 
avec les mots d’une chanson soy un italiano 
j’enchaîne barbés Rochechouart l’italienne 
avec un air de foule accordéon qui s’ouvre sur le ciel 
et brusquement s’arrête

 




31 juillet 2021


je balaie les plumes mais avant je mets l’hirondelle dans un sac en papier, je la mets dans la poubelle de ville mais avant je lui fabrique un linceul ou une prière enfin une autre fin que la poubelle de ville mais avant le passage du camion mais avant j’entoure le rejet de passiflore d’une ficelle pour qu’il grimpe sur la rampe, mon cœur ouvre une parenthèse fragile

15 juin 2021

le jardin s'écrit à la lumière de la frontale
le jardin se lit à travers le jaune





6 juin 2021

je bois un sirop de sureau 
avant de partir au jardin 
enterrer mes failles
je vais pousser une motte de terre 
dans le creux où 
mon coeur s'est foulé la cheville 
le jardin là-haut 
fabrique pour moi
un présent effacé de l'autre

le jardin / ...



2 juin 2021

 
dessous : 
 
une lueur
un abri
une cathédrale à fourmis
de l’air noirci
une absence totale de pluie
un truc caché on ne sait où
des graines de rien
une odeur de soupe aux cailloux

 
 le jardin / ...

4 mai 2021

je serais bien restée là-haut
à me fabriquer une enfance avec des branches mortes
dans l’ombre du chevreuil dans l’eau du bidon
les millimètres d’une pluie bleue
je mange la petite fille qui mangeait le sucre des trèfles
je grandis avec elle dans l’odeur du baume du tigre
un tigre attend dans l’herbe
les herbes ont pris des centimètres
dans les cabanes de genêts les entailles et les clous
je dépose un mot au pied de la petite fille que j’étais
je serais bien restée là-haut
les oreilles de lapin couvertes de miel
je garde les questions diluviennes pour après

le jardin / ...

16 avril 2021

la pluie et moi ne font qu’un
une bête morte dans le bidon
je l’avais pris pour une feuille noyée
je l’avais pris pour 
ce à quoi je ne crois plus
beau dommage
ce tas de terre a glissé et dessous,
des parfums écrasés par la pluie
la pluie est un chemin parfumé
qui devient mou

le jardin / ...

12 avril 2021

pour que les fleurs de cerisiers
passent sans s'éteindre 
cette nuit de gel
on pourrait peut-être
souffler dessus

le jardin / ...

11 avril 2021

toucher la terre
et voir la bouteille rouge un jour de grand vent
toucher l’eau des bidons
et voir la lumière décliner, les fleurs se bouclier contre le gel
toucher la tige râpeuse d’une garance
et voir l’écorce blessée par le front d'un chevreuil
toucher cette bouche muette
et voir un oiseau jeter son chant dans le grand bol d’air

le jardin / 5