23 avril : Monter plus haut, atteindre les faîtières, arranger ce bord de toit où les martinets viendraient bientôt nicher. Talandier est seul sur la façade. Ce matin, les nuages et le vent ont pris une longueur d’avance et il doit garder ses gants. Collé à son oreille, le froid lui raconte de vieilles histoires de blizzard, sa grosse veste empèse ses gestes. Il se sent comme un ours qu’on force à se tenir debout et il a hâte d’en avoir terminé. Pendant que je rentre des bûches pour allumer la cheminée, je réalise combien j’ai aimé le bruit que font les outils, la précision des gestes, l’ascension. Et, tout ce vieux qui fout le camp en poussière pour former des îlots de sable sur le trottoir.
Les joues rougies par le froid, Talandier traverse la rue et il me dit :
- Demain, ils annoncent 18 degrés !
- Ah oui ?
Le soin que j’ai pris à choisir la plus grosse bûche de mon tas de bois me paraît un peu vain. Le printemps arrive enfin. Cette surprise m'enchante.
- Vous allez sur un autre chantier ?
- Je vais là où le blizzard me porte !
Talandier ôte ses gants et croise les bras, observant les tuiles, les jointures autour des fenêtres. Content. Après qu’il m’ait salué et qu’il ait rejoint sa camionnette, je sens que demeure en moi quelque chose de ce « Je vais où le blizzard me porte ».
Demain, je partirai. Le chantier prend fin comme finit un spectacle, comme une page se tourne, comme on pointe le doigt sur une carte avant de se lancer dans une nouvelle aventure. Ceux que j’aime sauront me trouver, je sèmerai des cailloux blancs jusqu’à chez moi. Une boîte aux lettres avec mon nom. Une odeur de soupe en hiver et un poêle qui ronronne pour mon chat. Des draps doux pour mes enfants et les amis de passage. Ensemble, nous ferons craquer le plancher de cette petite maison de rue que je venais de visiter, cette maison qui abriterait mes livres et mes idées.