Je sors voûtée, je sors en grappe d’adolescentes partageant un sachet de cerises, je sors en bleu de chirurgie, dans une immense pharmacie. Je sors avec ce moi coincé en travers de la gorge, cette autre qui m’a tellement énervée avec ses peurs, ses obsessions, ses manies. Je sors avec une moindre immunité, défenses ébranlées, pas de côté. Je sors en baissant les yeux, ruminant l’humiliation du laissez-passer. Les yeux fixés sur la croix au sol, le périmètre de la mort qui tue. Qu’est-ce qui est mort en moi pendant tout ce temps ? Qu’ai-je raté ? Est-ce que je respire assez ? Comment ces visages connus me parlent de l’avant, de qui nous étions avant ? Je sors aveuglée, hébétée, engourdie par le garde-à-vous, la colère rentrée, maladroite, hésitante, convalescente. Je sors avec toutes les protections dont ils ont parlé à la télé, le geste qui peut sauver des vies qu’on ne connaîtra jamais. Je sors à contre-courant, si peu sûre de ce que je vois, si peu sûre de la distance, si peu sûre de trouver ma place. Je sors étonnée de tout ce monde au même endroit, de ces demi-visages qui trouveront leur place dans mes cauchemars. Je sors à contrecœur, de peur de retrouver les vices de notre époque, de retrouver le même ordre, maquillé.
Je sors avec le goût d’une fleur dans la bouche, une fleur au goût d’herbe qui coupe la langue, en franchissant la rivière et les poissons aux reflets changeants, dans le froid de mai je sors tête nue, avec cette certitude que mon unique risque sera de tomber amoureuse.
Je sors avec le goût d’une fleur dans la bouche, une fleur au goût d’herbe qui coupe la langue, en franchissant la rivière et les poissons aux reflets changeants, dans le froid de mai je sors tête nue, avec cette certitude que mon unique risque sera de tomber amoureuse.