19 mars 2020

jour 3 : la vie en rose

Avec ma rivière et mes petits oiseaux tout d’un coup l’illusoire d’une peluche sur un champ de bataille. Je ne sais pas à quoi le soleil se raccroche depuis que je l’ai jeté dans la rivière, oui, comme un galet, ce galet lisse vous savez, ce galet censé arrondir les angles de nos journées confinées. Alors oui, moi aussi je veux donner du sens et lorsque mon voisin reçoit sur la tête les gouttes d’eau de mon arrosage/rempotage de balcon à fourmis, il lève les yeux vers moi et je lui dis « désolée, ça ne durera pas, je ne sais pas combien de temps ça va durer, mais ça ne durera pas ».  N’importe quoi. Je suis fatiguée de me rassurer, d’expliquer, de maquiller le jour avec la rivière et les petits oiseaux, de repeindre la maison en rose.
Je fais de la confiture de pamplemousse rose parce qu’il n’y a plus d’oranges, d’autres se sont jetés dessus, pénurie, vitamine C, survie. Alors oui, malgré le sucre mon mélange noie la cuillère, je remue la rivière, vapeur d’agrume, j’en prends plein les poumons, c’est toujours ça de pris, je sors les pots de la cave, je remonte les escaliers, je tourne. Ma confiture de pamplemousse que j’ouvrirai dans l’avenir sera tout sauf de la confiture. Elle sera âcre, liquide, légèrement opaque, c’est comme ça. Elle sera figée dans son pot, sur l’étagère, saisissant parfois les reflets de lumière jusqu’à me faire croire que j’ai pu garder un bout de ce soleil que j’ai jeté dans la rivière. 
Depuis ce matin dans ma rue, un homme chante avec du vent dans la bouche, depuis ce matin, il chante le vent dans sa bouche.