6 octobre 2018

chantier "Talandier et Lepoutre"

Les premières gouttes tombent. Talandier est couché dans son lit. Il a tourné un peu avant de s’endormir, car son dos lui faisait mal. Entre ses reins, il sentait bouger ce sac rempli de cailloux qu’il ramène du chantier. 
Il est minuit. Talandier se lève et marche pieds nus dans le couloir. Avec sa main, il masse sa nuque et l’arrière de sa tête. Par habitude, pour se remettre sur les rails. Ce geste, il le fait aussi sur lorsqu’il marche tel un funambule sur les tuiles. Lorsqu’il passe près de la salle de bain, il y a toujours cette odeur de shampoing à la mangue qui flotte après que les petits se soient lavés. 
Talandier ferme doucement la porte de leur chambre. Au même moment, j’ouvre les yeux. Un éclair, le tonnerre. Des bourrasques et la pluie arrivent. Elle se déploie malgré l’obscurité. Sur le toit de la maison en chantier, des gouttes aveugles frappent les tuiles et, en quelques minutes, un torrent s’engouffre dans la gouttière. Va-t-elle tenir ? Et, demain, comment est-ce qu’on va retrouver le chantier ? On aurait dû mettre des bâches, au moins là où c’était pas encore sec ! 

Talandier se met à la fenêtre et regarde un moment son jardin qui ressemble aux autres jardins du lotissement. Dans un coin, la piscine en plastique se remplit. La bouée en forme de cygne tourne lentement sur elle-même. La pluie fera du bien au gazon. Lise et Théo dorment. C’est ce qui compte. Mandier pense à Lepoutre. Quand il soudait les morceaux de la gouttière, il faisait le con à souffler dedans. Il était fier avec son fer à souder. « Les grandes orgues Talandier Lepoutre », ça a de l’allure, non ? En se remémorant la scène, le sourire monte aux lèvres de Talandier. 

L’orage s’éloigne. Quelques coups de canon à la traîne. Je regarde la rue. La gouttière brille comme les cuivres d’un orchestre à la lumière des rampes d’un théâtre à l’italienne.